Arthénice est active pour sa cause. Elle y est très engagée, et ne passe pas une journée sans y avoir fait don de plusieurs heures ; elle voue son énergie, son temps, sa jeunesse à cette action. Puisqu’Arthénice est une militante. Elle agit pour changer bien des injustices, et ne ménage pas sa peine à cet effet. Pour quelle cause est-elle donc aussi dévouée ?

On dit qu’elle se démène tous les jours pour faire avancer une économie plus durable et solidaire, plus juste et moins assujettie à la finance ; mais aussi pour une équité accrue dans la circulation des richesses et les fruits du commerce ; ou plutôt pour l’égalité des femmes ; ou contre la misère des migrants ? A moins que ce ne soit le sauvetage des enfants abandonnés de pays lointains ? Son combat ne serait-il pas plutôt tourné contre la torture, contre le racisme, et contre l’homophobie ? Et quoi encore ?  Serait-ce contre les violences de la police, ou les maltraitances infligées aux enfants ? La solitude des personnes âgées ? Celle des sans-abris plus encore. On nous dit plutôt, pour le soutien de la recherche sur les maladies génétiques. Mais n’est-ce pas pour la préservation des océans, ou des éléphants, ou de la panthère des neiges ? Peu importe la cause, son ardeur ne lui donne-t-elle pas raison ? Mais Arthénice ignore une vérité.

Nous échouons tous toujours, tous les jours. Nous avons tous échoué. Échoué au progrès, échoué à faire la vie moins violente, moins ingrate. Moins implacable aux faibles, moins cruelle aux démunis et aux humbles, aux silencieux. Nous entendons avancer plus loin, atteindre les frontières, nous voudrions tant que cela se produise. Mais cela n’arrive pas car nous n’en avons pas la capacité. Il y a trop d’objectifs à atteindre. Ou nous les avons perdus avant de les saisir. Ou nous ne savons pas les atteindre, ni même les trouver, ni où les chercher. Et à peine trouvés, nous les perdons encore, nous renonçons, nous les cherchons à nouveau, et encore jusqu’à les oublier. Et nous sommes constants dans l’insuccès. Et pourtant, nous sommes là encore, depuis six mille ans, et nous avançons, nous nous aimons.

Arthénice ignore donc cette vérité. Puisqu’Arthénice est une militante. Mais elle continue et soutient sans souffler chaque instant de son engagement. C’est cette ignorance qui rend possible notre monde, et son inextinguible ardeur.