Chrysippe est un jeune homme de son temps : il s’ennuie. Sous ses yeux la terre est plate et le ciel vide. Il regarde le monde qui va et ceci ne peut exciter d’intérêt. Il aimerait goûter aux voyages et aux joies de pays lointains, mais la distance l’ennuie. Il aimerait aussi traverser des aventures, pour vivre de grandes émotions, et pratiquer des sports, pour être fier de son corps et se réconcilier avec lui, mais le risque et l’effort physique l’ennuient. Parfois, il donne un peu d’attention aux choses de la politique, et il se sent prêt à activer quelques degrés de résolution : alors il a envie de contrer l’avancée des idées mauvaises, et défendre la démocratie, et faire reculer l’oppression, et mettre à bas le grand capital, comme ces mensonges qui font que le monde est si laid ; mais, à vrai dire, la politique aussi l’ennuie. La nature lui semble-t-elle belle et vulnérable, tellement meurtrie, tellement menacée qu’aussitôt la nature l’ennuie. Il y a bien une chose qui quelquefois, le rapprocherait du soleil ; les jeunes filles lui paraissent de temps en temps, attirantes, et quelque chose dans leur rire, leur éclat de peau, le parfum de leur chevelure, le mouvement et l’appel de leur formes anime un courant intérieur, une forme de remuement intime très agréable. Mais le désir aussi l’ennuie, et tout lui paraît vain. Chrysippe est à l’image de son millénaire. Il a vingt ans déjà et sa neurasthénie en a cent.

 

©hervéhulin