I

Un soupçon de clair
Vers la voûte distancée
Incision d’or sous la pénombre
Une veine fragile de safran qui bat
Et une rumeur large qui roule
Odeur forte Bleu marine
Et des stries de verres visibles noires
Les nuées alourdies d’un passé de pénombres
Comme une harde ancienne ondulent et s’étirent
Quelque chose aux aguets dans son halo se tend
Un miroir de l’espace où vient s’ancrer le jour
Peu après un échelonnement de lignes
Que soutiennent la distance de l’ombre et l’immensité de l’eau
Entre deux surfaces
Pâleur captive
La nuit rétractée dans son déclin
Abandonne à son propre sillage
Une courbe neuve
Suspendue à l’air vif
Vers le si vierge lointain comme un soupçon de feu se détache du ventre des nuages
L’idée de l’horizon revient à la surface
Et s’anime solitaire sous ses noces ardoisées
C’est là jeu complice de l’âme et de la mer
Celle-ci dérobant à celle-là
Son mouvement, son éclat, son lumineux étiage
Quand la nuit affaiblie si claire en son grand âge
Très lentement remonte

Puis
Telle sensible prière
Mirage ou existence
Un brillant bandeau d’améthyste s’étend
Au lointain bleu dont la période épouse et confond d’une même rumeur
L’espace en sa pleine mesure
La mer la mer la mer

Présage
La mer est ce cheval dont l’étoile est noyée
Le jour ainsi novice émergeant sous son voile
Transgresse en s’échappant la lisière de l’aube
Lumière enfant fragile au regard qu’émerveille
Cet indistinct soupçon qui rassure et qui veille
Heures exténuées heures sitôt tremblantes
Longtemps recluses sous de nuageux cocons
La brise un peu triste tranquille en ses embruns
Se mire dans la peau si blanche de l’espace
Quand un frisson bleuté  en saisit la surface
Son mouvement ailé enfle du petit-jour
La voile élusive dont la tache écrue gagne
Sans oser rien dire encore
Tandis que la nuit se consume
Au feu limpide du matin
Tandis que ses lignes poreuses s’échangent
A chaque flot chétives
Tandis qu’une arche reconnue se soulève au levant
L’émail du ciel marin est niellé
D’un réseau d’émeraudes
Au phosphore vainqueur sous la surface des flots noirs
Il avance
Lac de lumière

Voici la mer enfin reconnue
La mer la mer la mer

Matrice de l’horizon
Son matin une fois encore teinté de cendre pâle
En ces lieux froids du monde
Décante un suint d’argent
Son histoire renouvelée dans le glissement lancinant des flots vers le rivage si vert aux liquides cimiers
Et le soleil est bien bas sur le monde
Finalement
Quand le jour se lève
Blotti contre la mer
Il nous semble toujours plus proche et docile
Qu’au midi lorsque sous ses feux
La pierre  brute se fait plus dénudée
Parfois pesant parfois craintif
Souvent traversé de pompes familières
Il nous accompagne

Vivante matière en travail
Ne jamais négliger les fragilités avouées du levant
Pour saisir ce qui peut te fortifier dans cet instant connu
Que ceci est vivant

Doué de bien de patience
Finalement

II

                               A l’ouest ensuite
Sur l’ivoire invisible des falaises
L’astre débutant dépose
Une offrande grenat frappée d’or souple
Lovée dans son écrin où midi se terre
La mer se contemple enfin dans l’icône des falaises

Miroir de la brume
Où se tient captif un reflet qu’éternise la terre
Tout change tellement avec si peu de soleil
Une crique bouillonnante
Blesse le rivage
Poudroiement d’oiseaux de neige
Les à-pics aveuglants
Veillent au bonheur des goélands
Choral accoutumé des ressacs
Et l’air est alors un ami plus fidèle
Danseuse en extase traversée de sauvages mousselines
Telle première page d’un livre d’écume

De mille fleurs invisibles sous une armée de plumes
La vague prolonge bien au delà du rivage
Sa chevelure anxieuse et son soupir armé de flocons bleus
Honneurs portés par milliards
Vers le sol dominant
Et sa puissance

A présent que le jour est tissé d’une manne de lilas
Se distinguent
Derrière les falaises
Pas plus d’un jet de pierre
Dominant les pentes herbeuses
Quatre mégalithes à la gauche du levant
A leur flanc mystérieux
Un reflet d’or se consume
Et s’évanouit avant que d’avoir osé vivre
Le vent en sifflant les contourne
Le minéral caresse l’air
Comme deux corps qui se refusent
Entre les colonnes massives
Les ondées si souvent ont capté la lumière
Et l’ardeur assouvie des tempêtes anciennes
Si souvent a frayé cette peau noire
Où toujours ingénu n’ose parler le soleil
Leur faisant face
Vision de la lande
Où palpite la bruyère
Tant de promesses dans ces vibrations du monde
Tant d’évènements dans ces frayeurs ascendantes
Et tant de silences dans cette bruine de mer
Voici
Sombre épiphanie de la matière
La terre si douce étendue où la rosée se meurt
Si familière
De la lande la houle légendaire
Proclame un azur végétal
Un élan           Vaste élan court vers la mer
Le vent existe immobile rumeur à l’horizon rivé
Tel un royal voyageur incline vers le sol
Sa figure alourdie de joyaux sacrifiés

Voici que la vision s’anime
Les frondaisons rouges reprennent la cadence
Les fougères en foule étoilée recommencent
C’est un paysage de la terre qui danse
Triomphe des plaines
Les couleurs de la terre qui s’apaise
Changent les couleurs du ciel qui s’évente
Là bas ce sont des lignes et des collines honorées d’ères pluviales
La noce des rivières rameute ses ruisseaux
Pour une mer enfantée de mille souffles d’enfants
Sur ces contrées où si souvent transhument les pluies froides
L’eau et l’herbe et la terre
Ont échangé leurs contours
Pour un monde meilleur
Protégé des prédateurs
Un monde sans saisons ni frontière
Comme une âme brouillée de bruine
S’efface et navigue au frémissement du ciel

Le matin fragile
Respire et puis ment à la fois
Un souffle nocturne exilé dans sa peine
Croît encore Centre assiégé de tant de mondes
En vain des regards s’éclairent
En vain des prières s’éteignent
Quel ange vaincu bat contre notre âme
Vent qui ne cesse de heurter au ventail de notre corps
Tout ce en quoi le jour imite l’or des songes
Passe vivant verger de peu d’émeraude
Et cet instant nôtre à force de faiblir
Une fois franchie la nuit libère une rose peu sanglante
Toujours ainsi l’arbre cache un azur empourpré
La distance souligne ce peu de flamme qui fait de vivre
Un soupçon d’adoration mauve et furtif
Tant de vagues éventées, tant de nuées complices
Des plaines fertiles cachées dans l’ombre des vallées
La côte encore embrumée tisse un souvenir
Plus vivant qu’une constellation d’oiseaux de mer
L’instant est ce palais si rare où les songes ressourcent
Un filet d’azur et notre enfance
Que chaque flot ait un sens où chercher le combat
Du doux mal de vivre

Etendue de craie verticale
Aux bras grands ouverts aux marées
Les mots cisèlent en écume un chant de gratitude
Que le désordre de parler emporte la mer
Et le monde avec qui se refuse à s’oublier
Sur le bord des falaises un peuple de myosotis
Clame ce soir la fin des recommencements
Et si ce soir avec l’automne tout s’achève avant que d’avoir blanchi
Que tombe enfin le voile sombre du plaisir
Il n’y a pas d’autre monde que celui qui meurt

Tandis que le soleil du nord
Se hisse à ses remparts
Ce sont des bois et des champs
Des houles de bleuets espacent les labours

Des toits et des clochers
Où la lumière avive de brillants étendards
Un jour il sera midi
Ce mystère qui vibre sous sa ligne d’ombre
Le perçois-tu ?

 

III

Terre de peu de trouble où le brouillard s’invite
Les rêves s’en sont allé
Par cette porte d’altitude
En nous laissant
Du sel du sable et ce désir fou de stupeur
Plus loin encore
Par delà cette nouvelle ligne
Se devine la forêt et son profil
Sous les arbres
Des entrailles se nouent
Cette obscurité de nos forêts engendre des songes verts
Et des désirs anciens
Des couleurs bien à nous
Et des histoires pour faire passer l’hiver
Mais dont le sens gît derrière le cœur et son mystère
Nous ne voulons pas voir
Alors que pouvons-nous savoir
Le monde il serait doux de ne le comprendre que naissant
Toujours à l’origine
De son baiser d’or pur
A son avenir jamais
Nous avons bien de la peine à survivre
Et cette sphère décomposée
Nous est chère à force de blessures
Tout est si pâle au jour levant
Bien des siècles finiront
De la sorte à peine nés
Tant de choses inaccomplies
Si douces comme un été
Comme un flot dans les flots
Se perd tout est vanité
Et pourtant tout est recommencé
Et nous
Simples oiseaux aptères
Que pouvons-nous donc faire
Contre nos frères les écueils à la peau noire
Que nous honorons de lettres blanches
Moi tournant le dos à la terre
Je contemple la mer
A son front calme un liseré de brume
A ses flancs souples une ombre de sienne
J’attends ce temps que j’ai si peu connu
Au loin sur les flots blancs
Glisse une barque fragile
Personne à son bord
Les nuages descendent sur la vague
Et le lointain dévore
La barque
Son mouvement
Son rythme et sa portée
Et la mer la-dessus recompose
Sa solitude étoilée
D’où viennent ces filets de lumière qui enserrent les flots

Distances Distances
Dévoilez-moi vos clefs
Donnez-moi de ce souffle qui bat
Pourquoi donc ainsi ne pas vivre en vrai
Dans les pins refroidis qu’est ce qui siffle
Contre les falaises antiques qu’est ce qui luit
Sous les fleurs sauvages qu’est ce qui monte
Si loin dans les labours une pesanteur dénonce
Une fin approchée et cent fois évitée
Toujours souveraine
A droite des collines
Terrée dans un ressaut d’argile un bois de pins
Domine avec amour une masure en ruine
Qui donc a vécu là
Brille encore un carreau brisé
Que rien jamais n’aura réparé
Le cœur est alourdi d’un sentiment secret
Et vers le sud                                          la mer la mer la mer
Soulève un manteau de marbre changeant
Les flots ses fils rebelles sont un chœur rémanent
Dont l’accord gronde encor quand son chant s’est perdu
Et d’un dieu fatigué
Les angoisses mortelles
Sont ainsi renouvelées
Souffle d’âme vive
Es-tu là ou ailleurs
Dieu ! Qu’avons nous fait de nos rivages
Un chant de tristesse
Mais au nord où dorment des collines mauves
Quelque chose qui reste
Lointain et proche des falaises

Des bosquets et des rochers
Quelque chose n’a pas bougé
depuis que le jour a tremblé
Et ce qui dort tel un ruisseau nouveau
Exhale une quiétude cherchée depuis douze heures
Depuis que l’ombre est l’ombre
Et que l’homme est cet homme
Qui sort de l’ombre sans savoir où est l’or
Mais les paysages sont de grandes histoires
Et leurs pentes affinées tant de mots si peu prononcés
A l’écoute des saisons ils essaiment de silencieuses mémoires
Et l’éclat d’un cristal inachevé
Viendra ce temps utile que les ombres s’effacent
Et les hivers fertiles            Et les rivières antiques
Viendront les heures que les miroirs se troublent
Et ce que le monde en cette vue nous donne
Perdure
Soleil au ras des flots
Quelque chose qui ne change pas
Alors dans la tendre torpeur du jour qui rêve
La lumière change son angle
Le vent change sa voix
Demain devient un jour possible
Lumière qui avance
Chimère qui renonce
Vous autres songes en souffrance
Dites nous seulement
Cette consolation tardive
Dans la vision de la mer Vois tu

Il y a toujours comme un balancement
Et c’est ce doute qui pour nous
Si humains et si fatigués
Nous donne la bonne nouvelle
Car rien n’est jamais su
Qui ne soit à réapprendre tôt ou tard
Et cet esprit fugace dont je te parle
Sera désormais le frère fidèle
Que nous n’avons su te donner
Prends-lui la main
Ne le perds pas
Il te retrouvera
Toujours

L’horizon
Il est la ligne qui convient
Le partage et sa distance
Il est stupeur argentée
Et le signe où le désir s’oriente

Nomme à présent cinq horizons distincts dans ta mémoire
Puis aligne-les dans l’ombre de ta vie
En lignes serrées
N’oublie pas la combinaison précise des teintes et des regrets
Qui es-tu
Réponds réponds à cet éclat tranquille
Fière de ta torpeur minérale
Belle de ta parure de lichens
Dans la pose du renonçant
Bienheureuse
Qui donc es-tu
Petite tombe qui dure ?