La littérature africaine est relativement récente en regard de nos usages, notre culture et notre référentiel d’occidentaux formatés à notre propre mode de civilisation. Récente, mais aussi excentrée de nos considérations : Ashebe n’est pas Stendhal. Plutôt centrées sur les racines et l’horizon, ses thématiques ne sont pas les nôtres, alors que tout l’essentiel de la création littéraire nouvelle en France depuis quelques années, semble verser dans l’intimité et l’autofiction. Mais il y a dans ce continent quelques chose de toujours inachevé qui en fait la magie. Ses livres en portent la marque, et leur essence ne se soucient pas d’avant-garde ou de tradition. Il n’y a pas de choix, mais une pulsion d’universel, et les ouvrages ci-dessous sont sélectionnés ainsi, en vertu de cette principale dimension qu’ils portent et vous emportent.
Certains, parmi les écrivains ci-dessous ont quitté le continent africain et leur terre originelle sans rien renoncer de leur histoire ; parfois, ils vivent et enseignent en Europe, aux Etats-Unis. Ils ont pris quelquefois la nationalité de ces pays d’accueil, sans rien renoncer de leurs enracinement. Peut-être même est-ce ce pas-de-côté qui leur permet de diffuser leur message vers un lectorat plus absorbant. Mais d’autres restent enracinés physiquement dans leurs paysages de latérites, de pluies royales et de confusion périurbaines. La justice, la femme, les racines ou le questionnement de l’avenir, l’enfance, sont les préoccupations de ces œuvres qui restent trop souvent, à connaître. Ce qui les unit, c’est toujours, au travers des situations et des personnages, des familles et des destinées tragiques, bref, des histoires, où jamais rien ne se perd ce qui existait avant. Avant, il y a dix ou mille ans, dont chaque récit porte une marque assumée.
Cette liste O lecteurs curieux, est, comme vous l’avez compris, restreinte, discrétionnaire, insuffisante, avec le principe d’un livre par auteur. Allez, profitez-donc.
Donc, par ordre alphabétique des auteurs, qui ne préjuge en rien de ce que vous choisirez, ou pas, de ce florilège trop étroit.
- Chinua Ashebe. Tout s’effondre. Nigéria. Okonkwo est un homme digne et dur, un homme africain. Mais l’exil le ruine, et à son terme, la terre qui l’a vu naître est devenu coloniale : les blancs sont là, et tout s’effondre. Impuissance des racines face à l’histoire et l’injustice, ce premier roman de la littérature africaine contemporaine, se lit comme un paradigme de tous ceux qui suivent. C’est un coup d’envoi et de maître en même temps. Si vous ne lisez qu’un roman, pour apprécier la suite, ce sera celui-ci.
- Koli Jean Bofane. Congo– Inc . Congo. Un jeune pygmée quitte sa forêt et son village pour faire du business à Kinshasa. Sur son chemin, toute une faune humaine fait obstacle aux ambitions de ce don quichotte. Saisissant tableau du Congo contemporain aux prises avec la mondialisation, et roman cruel et plein d’humour, emblématique de cette capacité à ne jamais renoncer à la joie, dans un univers tourmenté d’escrocs, de corrompus, d’enfants soldats, de prostitution et de détournements de tout ce qui peut faire un progrès. Mais c’et drôle, on ne s’ennuie pas, et malgré la noirceur des choses, on se prend à rire de la médiocrité du genre humain.
- Mia Couto. La confession de la lionne. Mozambique. Blanc, mozambicain, africain absolument et lusophone, Couto nous donne une écriture en clair-obscur, qui chante doucement. Le village subit de mystérieuses et violentes attaques de lions : le grand chasseur s’y perd, et c’est une femme qui trouve la clé. Roman écrit sur ces deux voies, au charme brumeux, et style mélodique.
- Emmanuel Dongala. Les petits enfants naissent aussi dans les étoiles. Congo. Dongala a le calibre d’un Nobel : tout en puisant dans les racines et fondamentaux de l’imaginaire africain, son œuvre rayonne d’un universalisme délicat. Sorte de remake de Candide, son ingénu est un condensé de toute l’humanité africaine, qui voit défiler l’histoire tragique du continent. Cette lecture est un vertige qui vous saisit, ne manquez pas ça…
- Nadine Gordimer. Fille de Burger. Afrique du sud. Pas facile d’être blanc et fille de l’apartheid quand l’axe de l’histoire s’est déplacé. Histoire d’identité mais sous un angle inversé de celui auquel on est habitué, et aussi, de culpabilité : comment effacer la faute qui nourrit vos racines, quand ce n’est pas la vôtre ? Blanc en Afrique, même du bon côté des causes, on reste blanc, ce qui n’empêche en rien le mélange positif des humanités contraires.
- Abdulrazak Gurnah. Paradis. Tanzanie. Comme une photographie ancienne au ton sépia. Yusuf a douze ans quand son père, qui ne peut rembourser une dette, le donne à son riche créancier. Mais c’est par cette servitude, qui le met dans le sillage des caravanes de l’Ouest Africain, que Yusuf traverse, dans un double voyage, intérieur et continental, l’Afrique de l’Est au début du XXᵉ siècle, minée par la colonisation, rectiligne dans toute sa beauté et sa rudesse. Et l’eau, l’eau y vaut toutes les vies. Le paradis de Gurnah est un paradis perdu. Prix Nobel, n’oublions pas.
- Helon Habila. La mesure du temps. Nigéria. Deux jumeaux au destin divergents, l’un érudit et intellectuel sensible, l’autre violent et mercenaire. Une Afrique qui tire vers le haut, une autre vers le bas, et pourtant, cela fait unité. Le récit explore brillamment les thèmes du destin et des conséquences du choix, de la douleur de ce qui aurait pu être, qu’on ne comprend qu’au passé malheureusement. C’est assez poignant, d’un style riche et épanoui. Grand plaisir de lecture.
- Moses Isegawa. Chroniques Abyssiniennes. Ouganda. Isegawa réussit dans ce puissant roman, à nous livrer un condensé intelligent de toutes les peines et les joies de l’Afrique du XXe siècle. Une saga familiale, pour emprunter une expression cliché, déroulée sur plusieurs décennies ; on ne s’ennuie pas dans cette lecture fluide. La déception de l’indépendance, le Sida, la guerre civile, la corruption ; mais aussi, la joie de vivre et l’énergie de la famille, traversée d’une ingénuité délicieuse qui sauvent tout le reste. C’est foisonnant et rebondissant. Un des meilleurs écrits pour comprendre l’histoire moderne de l’Afrique.
- Wangari Maahatai. Celle qui plante les arbres. Elle nous manque, Wangari. Elle aura marqué son temps, militante écologiste, pacifiste, féministe, mais surtout optimiste, et enfin, Nobel. Cette biographie, animée de ses luttes, et de ses peines dépasse la sienne propre pour épouser un peu celle de l’Ouest Africain et d’un beau pays qui fait rêver. Pas une once de désespoir dans cette vie de combat, consacrée aux arbres (elle en aura planté plus de cent mille) et à la condition des femmes. Un portrait d’une Afrique féminine, combative et confiante.
- Jennifer Nansubuga Makumbi. Kintu. Ouganda. C’est une malédiction qui poursuit une lignée sur plusieurs siècles. Depuis que Kintu, gouverneur dans un ancien royaume avant la colonisation, a tué accidentellement son fils adoptif, d’un simple geste, un sort néfaste poursuite ses descendants jusqu’à nos jours. Kintu est original en ce qu’il montre la vie et les institutions des royautés africaines précoloniales. -le roman débute au XVIII è siècle, et c’est un angle peu connu qui nous est ainsi dévoilé.
- Maaza Mengiste. Le roi fantôme. Éthiopie. Une guerre peu écrite dans la littérature, celle de l’Italie fasciste contre l’Éthiopie : à peine les troupes italiennes ont –elles entamé leur sinistre conquête, que l’Empereur d’Éthiopie s’enfuit… On a alors l’idée de prendre un inconnu (un jeune musicien) pour simuler un retour du jeune monarque à la tête de la résistance. Puissance de l’illusion sur la détermination. Des personnages d’une conception exceptionnelle, dans les deux camps, rendent la narration captivante ; surtout, les femmes éthiopiennes ont joué dans cette guerre un rôle majeur, et donnent à ce fléau une marque d’espérance. Tragique mais lumineux.
- Nimrod Bena Djangrang. Sur les berges du Chari. Tchad. Poésie, attention. Nimrod chante, avec ferveur, ces soirs dorés qui attiédissent l’air, ces fleuves longs où glissent des voiles lointaines. Et l’univers est embrassé presqu’’à chaque poème de ce recueil lumineux. Beau et brut.
- Chigozie Obioma. La prière des oiseaux. Nigéria. Une histoire d’amour impossible, entre un éleveur de volaille et une étudiante d’une riche famille, on en connaît un peu le ressort, certes. La particularité de cette prose poétique, et très fluide est que le narrateur est le « chi », l’âme, l’esprit, l’ange gardien du jeune homme, Chinonzo. Cet angle de narration original vous plongera dans un univers de lecture nouveau, celui de la cosmologie Igbo nigérienne, entre spiritualité et philosophie. Un roman d’amour puissant, tragique et poétique.
- Mohammed Mbouga Sarr. La plus secrète mémoire des hommes. Sénégal. Chef d’œuvre, d’un écrivain africain , qui ne se déroule pas en Afrique et qui parle de la littérature en France. Mais au-delà, c’est de la difficulté de ne pas être blanc quand on est écrivain qu’on lit à chaque page. Une écriture dense et rayonnante, c’est de l’universel. Prix Goncourt 2021.
- Lucy Mushita. Chinongwa. Zimbabwe. Chinongwa, neuf ans, sait qu’un jour, comme sa sœur, elle sera « cédée » à un mari pour de l’argent. C’est le seul destin dans une famille de pauvres parmi les pauvres. Mais la fillette est si maigre que leur entreprise ne suscite que pitié ou raillerie. La jeune Chinongwa résiste et existe grâce à un entêtant instinct de survie, tout en conservant au fil des années cette ingénuité qui fait force. Baigné de légendes familiales et de superstitions rurales, son monde est éclairé par un merveilleux candide. Un peu de poésie fruste, de simplicité, d’humour aussi, font de Chinongwa, bien plus qu’un témoignage sur un village d’Afrique australe au début du XXe siècle, un roman poignant sur l’accession d’un individu à l’indépendance, payée au prix fort.
- Chimananda Ngozi Adichie. Americanah. Nigéria. Un roman de la diaspora nigériane, qui se confronte avec les mœurs des États-Unis : c’est un exil, où malgré la bienveillance formatée des intellectuels américains, on est systématiquement racialisé et renvoyé, sans intention de nuire, à son origine. Faut-il donc se justifier d’avoir la peau noire à chaque détour de la vie quand on quitte son continent ? Noir ou blanc, c’est grâce à l’autre qu’on trouve sa place et sa mémoire.
- Futhi Ntshingila. Enragé contre la mort de la lumière. Afrique du sud. On le sait, difficile d’être femme, et plus encore adolescente, dans cette partie du monde. Au-delà de toutes les violences subies – mais à qui donc faire confiance ? – tout peut toujours se reconstruire. Sidaz, Viol, escroquerie, mensonge et pauvreté, quoi d’autre ? Zola est une jeune fille qui prend tout cela de face. Et pourtant, et pourtant…Très souvent, le roman africain contemporain se nourrit de résilience. Évidemment, car tout n’est pas sombre sur cette terre, qui cherche le bonheur comme partout ailleurs ; et il peut y avoir des fins heureuses, du moins, prometteuses.
- Wilfried N’Sonde. Un océan, deux mers, trois continent. Congo. Roman historique dont l’essentiel se déroule hors d’Afrique. Au XVIIe Siècle, l’Empire Congo s’affaisse sous la pression démente du commerce d’esclaves. Le premier archevêque noir entreprend une longue odyssée pour convaincre un monde blanc borné, arriéré, religieux, raciste qu’on peut être noir et complètement humain. Pas gagné en ce temps-là.
- Needi Okarafor. Qui a peur de la mort ? Nigéria. « Onyesonwu » en langue ancienne signifie « qui a peur de la mort » et c’est le nom du personnage, une petite fille aux cheveux blonds. Roman stupéfiant, à la frontière du sacré et de la science-fiction, qui nous donne à chaque page un chant de résilience, hors d’un monde dévasté par la violence. Il n’y a pas de destin maudit.
- Yvonne Adhiamba Owuor. La maison au bout des voyages. Kenya. Une Afrique complexe et sombre. Une famille en tension, qui se retrouve autour de la mort du frère ainé. Une bâtisse de pierre rouge érodée perdue dans le Nord du Kenya est la convergence des nombreux thèmes de cet ouvrage. Une famille transie dans le deuil, qui se trouve confrontée à la douleur des vérités cachées. Cette quête obscure va éclairer à contre-jour aux secrets d’une famille dévastée par l’histoire nationale et coloniale, et par la liberté insolente d’une femme.
- Namwali Serpell. Mustiks : une odyssée en Zambie. Zambie. C’est assez foutraque et déconcertant, Mustiks. Plus d’un siècle d’histoire de cette partie de l’Afrique, réputée de nos jours encore, pour ces vastes espaces sauvages, pourtant absents du roman. Une étrange femme mutante, couverture d’une pilosité déréglée, une championne de tennis aveugle, une astronaute zambienne sans fusée, sont le moteur de ces aventures, Trajectoire coloniale de ces familles, écriture ironique dévoilant b ien des drames et notamment ceux de l’acculturation forcée des peuples autonomes.
- Karel Schoemann. La saison des adieux. Afrique du sud. L’Afrique du Sud déprimée des années 70, la répression atteint des sommets (violence et absurdité) et on glisse lentement dans l’ombre. On ne sait pas trop quelle ombre, car ces personnages, intellectuels blancs et bourgeois moyens, évitent de parler de ça…Le narrateur, un poète un peu déclassé dans ce monde de brute, se sent à un tournant de sa vie, comme ce pays. On parle de partir, mais on ne le fait pas… On veut sauver la vie habituelle des blancs, mais on subit la dérive. Il pleut tput le temps sur Le Cap… Très beau style, bien traduit, dans une écriture danse et mélodieuse. Schoemann, peu connu en Europe, est un des rares écrivains majeurs (le seul ?) à écrire en afrikaans.
- Wole Soyinka. Ode humaniste pour Chibok, pour Leah. Nigéria. Dans ce long poème tout entier inspiré de la lutte contre l’obscurantisme. Des 276 lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, une seule, Leah Sharibu, n’a pas été libérée. Écrit en anglais, mais nourri du vocabulaire Yoruba des origines, ce texte rayonnant, ce poème émouvant, ce pamphlet corrosif cible le triste triptyque pouvoir/religion/politique et ses dérives, maladie du continent. Le lecteur, quelle que soit sa culture, est appelé à décaler son regard et assumer sa part de responsabilité dans la situation du monde. Puissant et universel. Prix Nobel, le premier du continent.
- Textes sacrés d’Afrique noire. Littérature ou pas, anthropologie, histoire ? Peu importe. Ce livre est un recueil de chants, de mythes, de contes, de prières et de paroles. Car l’Afrique (subsaharienne) est avant tout terre d’esprit et de religion, une religion de la nature et des cycles cosmiques, qui inspirent aux hommes et femmes qui la peuplent du rêve, des histoires, de l’humour et cette formidable résilience qui en fait l’universalité. Telles les formules magiques songhay «pour s’enfuir à travers les murs», l’incantation des forgerons peul, la prière des Tutshiokwe du Katanga pour venir en aide aux femmes lors d’un accouchement difficile, le culte de Fa et des Orissaqui se mêle au vaudou des Amériques, l’éloge à Amma, le Dieu des Dogon etc. À lire en premier lieu, si on veut vraiment saisir le sens des dix-neuf autres références de celle liste discrétionnaire
- Abdourahman Waberi. Aux Etats-Unis d’Afrique. Djibouti. Roman dystopique de ce florilège. L’Afrique à l’envers…Prospère, l’Afrique en subit tous les inconvénients. Ces divers états doivent affronter des flots de migrants en provenance d’une Europe rabougrie. Un père va quitter ce continent florissant pour aller retrouver sa fille – dans une quête, on l’a compris, symbolique – dans cette Europe confuse. Un regard inversé, sur deux mondes pas si contradictoire que cela, qui nous éclaire.