Nul n’est obligé de briller au détriment des autres, ni bousculer à tout va pour exister. Pourtant, celui qui ne s’astreint pas à ces penchants sera souvent mal jugé. Que pouvons-nous y comprendre ? Vous connaissez bien Philinte, il est toujours votre voisin ; souvent celui que vous ne voyez jamais d’ailleurs. C’est bien normal. Il élève si peu la voix quand il parle, il n’offense personne et ne cherche pas à le faire pour montrer son caractère. Il ménagera toujours la sensibilité de celui qui lui parle. Demandez-lui un service, parmi ceux qui soulagent la petite pesanteur de tous les jours, ou de ceux qu’on n’ose à peine demander à un ami de trente ans. Qu’il vous prête sa voiture ? Qu’il garde votre enfant malade ? Qu’il arrose vos plantes ou nourrisse le chat pendant que vous êtes aux Maldives ? Qu’il expose en détail un alibi pour votre épouse ? Il le fera, bien sûr, et avec le sourire, c’est lui qui vous dira merci. Il est donc serviable, Philinte, dites-vous, il est même docile, ainsi qu’on lui demande de l’être. Tant et tant qu’on moque cette ferveur à servir, à aller vers l’autre, et à ne jamais disputer ni se fâcher. « Il ne fera pas de mal à une mouche » dit-on souvent, « il est gentil » moque-t-on. « Il est vraiment obéissant » raille-t-on encore.
C’est bien, Philinte, continuez et surtout ne changez rien. C’est parce que vous êtes ainsi et ne demandez rien en échange, quand on vous demande tant de petites choses, que vous restez un modèle simple d’humanité. Que celle-ci serait heureuse s’il y avait seulement dix fois plus de Philinte.