Les Cahiers d’Alceste
Blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique
“A la fin, alors que le monde se décompose dans une flaque de sang, que reste-t-il? La littérature, l’amour. Les deux ne faisant qu’un. La politique est morte, les évènements nous tuent, mais les écrivains sont pris dans la continuité d’une émotion qui, à un moment ou un autre, vous donnera tout”
Yannick Haenel, “Le lingot et le foulard de Duras” in Charlie Hebdo n° 1551, 19 avril 2022.
“La nuit m’emportera et ses pièges tragiques…” De l’invention littéraire (et de la nuit) . Ce qui fait qu’un rassemblement fortuit de quelques mots se change en idées littéraires, garde une part forte de hasard. Mais la mémoire est un ressort aussi puissant, et incontrôlable. En ruminant un vague début de poème il y a quelques temps, j’avais «trouvé» cet alexandrin que vous lisez en incipit. Outre la forme en hyperbate, il y avait dans la formule un sens électrique qui me plaisait bien. On se dit alors : et hop, quel trait mon esprit n’a-t-il pas trouvé là! Hélas: la mémoire est moqueuse, et l’esprit rebelle. Je rangeai de vieilles affaires, et tombai sur ce précieux volume du “Gradus ad parnassum” (Dupriez, Ed. 10/18 : pour les innocents, il s’agit d’un dictionnaire des figures de styles) que je recherchais dans mes désordres depuis tant d’années, dix ou quinze, peut-être…Joie, joie me direz-vous, de retrouver ce vieil ami qui me manquait tant. Je l’ouvre au hasard. Et tombe sur quoi? La lettre H, et la figure de l’Hyperbate. Et pour illustrer la définition donnée, un vers d’Alain Grandbois, poète québécois du XXe siècle, qui assène : “La nuit m’emportera et ses pièges tragiques“… Je n’avais rien inventé, c’est ma mémoire qui m’avait fait un bien étrange tour. Ce vers magnifique était resté tapi, secret, sous les années, comme le livre qui le recelait. Voilà, on se croit ainsi, on se voit déjà, on s’envole, et puis, non. Espérons que les quelques cent-vingt textes publiés sur ce site ne sont pas de la même ingénierie…
Bon, tout ceci ne nous dit pas ce que vous apporteront bientôt mes « Cahiers ». J’aurais pu écrire des choses sorties de l’épaisseur anxiogène de ces semaines-ci, le déclin de la république sous les coups des sycophantes, ou la guerre à l’est, ou l’éternel zigzag du virus, ou la fureur des climats révoltés de notre planète. Et bien bof et non. Pas seulement parce que je laisse à d’autre la politique. Mais pour la bonne raison que je l’ai un peu déjà fait; vous trouverez toutes ces sombres thématiques dans des pages déjà publiées des “Cahiers”, parfois depuis plusieurs mois. Mais voilà, les mots sont vains face à l’aveuglement des hommes. Tout juste savent-ils voler sur les flots, plonger, pêcher parfois et en revenir. Et attendre leur effet, rémiges ouvertes, au grand soleil, tel l’anhinga oriental.
Quelques caractères inédits viendront illustrer toutes ces folies de la politique: avez-vous remarqué que les responsables politiques, toujours détestés dans leur exercice, gagnent en indulgence et en admiration, sitôt qu’ils tournent vers le passé? Je vous livre bientôt ce “rétroviseur” (c’est le tire), mais après, on revient sur du comportement et les travers de nos moeurs.
Ah oui, et avant de s’éloigner de la politique, allons (bien) voter, pour cette vieille république, malgré ses ruines et son arthrose. Parce que l’extrême droite, c’est moche quand même. Et très bête, en plus.
Opinion de lecture. Il vous sera proposé une chronique d’un livre étonnant que je vous restitue avec plaisir. « Le tigre » de John Vaillant. Amélie Nothomb naguère en parla comme d’un « Moby Dick de la taïga ». Pas tombé loin, ça vaut Melville mais le plus extraordinaire est que ce n’est pas un roman. Le tigre est tant force, sagesse, et aussi beauté, que mourir de sa chasse doit être un peu comme un songe, non ? Et après la chasse, je vous enverrai “les pêcheurs”, roman nigérian (encore un!)
Conotron. Les amateurs de cette rubrique pourront apprécier un ouvrage de bande dessinée qui vient d’émerger, de l’illustre Emmanuel Reuzé : « La limite n’a pas de connerie » aux éditions Fluide Glacial. Le même Reuzé qui nous avait gratifié des deux volumes de « Faut pas prendre les gens pour des cons », chroniques diachroniques des bêtises de nos sociétés obsédées par le sens. Amusez-vous. C’est hyperconotronique.
Poésie… J’ajouterai bientôt deux poèmes de facture classique. «Les lilas» dont le sens ne procède que des mots employés et rien d’autre, et «Les eaux furtives»: ce dernier tente de saisir ce lent détachement de soi qu’est la fin de l’enfance. C’est pour cela que la forme en évoluera encore peut-être. Bientôt, une troisième suite de poèmes courts, en train d’être peaufinée.
J’ignorais aussi que Margaret Atwood, très connue pour sa « servante écarlate », était une immense poète(sse). «Circé» mêle la tristesse de la magicienne abandonnée avec la condition délaissée de la femme dans nos tristes sociétés. D’ailleurs, Atwood est explicite dans son introduction : « Circé, c’est moi ». A la fois intérieur et très élégant, le texte est décliné sur vingt-quatre poèmes. L’ensemble se lit et relit d’une même lancée, comme un petit roman. Belle et maniable édition bilingue Bruno Doucey.
« Voici de la nourriture blanche, comme des racines, rouge
Poussant dans les marais, sur le rivage,
Je prononce également ces noms-là pour toi.
Elle est à moi, cette ile, tu peux prendre possession
Des rochers, des plantes,
Qui s’étalent sur un sol pauvre, j’y renonce.
Tu peux prendre cette eau,
Cette chair, j’abdique. »
Les amis d’Alceste. Qui sont-ils? J’ai ajouté quelques liens sur des blogs qui me sont proches (je me suis aperçu par la suite que l’un est depuis probablement inactif, peu importe). Vous serez toujours les bienvenus chez eux.
Administration, j’écris ton nom. Enfin, j’ajoute que la reconfiguration du site, telle que je vous l’ai déjà évoquée mais sans grand résultat, est suspendue à la déficience technique de son administrateur, qui, en bisbille avec son opérateur, ne dispose plus d’internet ; ce qui est fâcheux, vous en conviendrez, pour un administrateur. Si ce litige ne se solde pas très vite, nous engagerons une vaste pétition mondiale pour que la raison l’emporte.
Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.
En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici. Mais avant de décrocher, vous relirez la citation de Y. Haenel en tête de ce texte. Belle vérité. Que ceux qui n’y croient pas reprennent la vie depuis le commencement. Merci, Charlie.
Les Cahiers d’Alceste, c’est par ici et ci-dessous…
www.lescahiersdalceste.fr
Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…
A bientôt.
©hervehulin