Antiphile est un sage. Chaque jour, il accomplit une foule de petits faits qui sèment ce qu’il faut de quiétude dans la vie de ses enfants, de ses proches, de ses amis, de ses voisins. On le sollicite souvent.

Il écoute, reçoit et donne de belles réponses en toute circonstances. Peu en importent le détail et l’histoire. Il sait bien ce qui convient, et sans effort d’esprit particulier, remet l’harmonie là où elle avait défailli. Mais toutes ces actions se font toujours sans bruit. Les choses sages par nature n’ont qu’un faible éclat. Peu de gens reconnaissent ses actes ni lui opposent de l’intérêt ; la portée de son nom ne dépasse pas l’angle de sa rue. Antiphile n’est jamais glorieux de tout cela, car, sage, il est toujours discret.

Antisthène est un sot. Chaque jour, il s’agite et commet bien des choses bruyantes. Il parle, sitôt approché, il répond sans même être questionné. Il est gai, tendu, indifférent, survolté, et toujours en cela, le propre de lui-même. Il est partout, traite de problèmes qui n’existent pas encore, et invente des solutions qui ont déjà échoué mille fois. Il est le vent, et la nuée en même temps, le sable et la paille. Remué d’un mouvement perpétuel, il se porte à tous les coins de la Ville avant qu’on l’ait appelé. On le voit à dix heures au Palais de justice, traversant le greffe, ensuite à midi au Buttes-Chaumont sans que personne n’explique cette téléportation, observant un héron sur l’étang, puis encore vers quinze heures à Drouot, questionnant à tout va sans rien acheter, et de retour à Bastille avant le soir ; mais il dînera en compagnie sur le canal, pour raconter cette folle journée qui le sollicita plus encore qu’un Président. Il assure avoir vu cent personnes, mais ignore que moins de cinq ne l’auront pas jugé fâcheux. De toutes ces familles qui le reconnaissent et l’évitent, il croit connaître le détail des soucis, que ses lumières vont réduire. Comme on rit de lui, il rit aussi ; puis il racontera dans la soirée comment il a fait crouler sous ses bons mots toute une assemblée. Il parle, tous s’endorment ; il saura se vanter du religieux silence que son discours a généré en quelques minutes. Il montre aux amis qu’il suppose, ce qu’il a accompli de ses semaines, et à ses ennemis qu’il ne reconnaît pas, décline avec de grands mots, les défauts des amis précédents qu’il a su combler depuis des mois. Tous ces exploits font qu’Antisthène est si reconnu que sa réputation vole au-delà de la Ville, bien haut, bien loin.

Pourquoi donc Antiphile est-il si obscur quand Antisthène est si glorieux ? Grossie à chaque sottise de l’attention massive d’un public toujours disponible, la gloire du sot n’a rien d’un mystère : elle aura toujours l’audience et l’avantage du nombre et de l’exposition.

 

 

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