Cléobule est ouvrier, ou postier, ou infirmier mais peu importe, vous le connaissez. C’est un homme souriant, plutôt d’humeur avenante. Il déploie sitôt qu’il parle cette faconde heureuse et ce peu d’instructions dans ses propos et ses références qui est pour beaucoup, et pour le grand malheur de celui-ci, la signature du peuple.

Ses opinions sur la société, les lois et les gouvernements, sont consolidées. Il est pour le peuple, pour la fin des puissants et la fin du capitalisme. Pour le partage des richesses, car les grands groupes et leur patrons sont des criminels, leurs biens doivent être rendus à tous et mis en commun, en production et en consommation. Il est pour un gouvernement commun qui assure avec autorité l’intérêt général et protège les pauvres avec rigueur et l’appui de lois très fermes.

Mais il est aussi contre des décideurs abstraits et mous, se sent loin de ces hommes politiques et ces élus décadents, contre ces journalistes vendus au système, contre ces migrants qui nous parasitent, contre l’idée d’un pays mélangé voire remplacé, contre les juifs qui nous surveillent, contre ces musulmans qui nous effraient, et contre tous ceux qui cherchent à nuire à l’homme blanc hétérosexuel de souche chrétienne de cinquante ans. Il est hostile à ce pays qui ne ressemble pas assez à celui de ses arrières-grands-parents.

Car notre curieux Cléobule est convaincu d’être peuple. La preuve qu’il est vraiment peuple, vous dira-t-il, est qu’il est peu allé à l’école, n’a jamais voyagé hors de sa banlieue, est fier de ne jamais lire un livre, et de gagner très peu sa vie, avec ou sans travail. Mais encore de sa sueur, ou d’avoir les mains abîmées. Tout cela est d’une bonne marque de fabrique. C’est sa ligne bien à lui, dont il ne déviera pas. D’où lui vient donc cette furieuse conviction ? Cela fait quarante ans au moins que ces puissants qu’il déteste, lui ont inculqué cette si basse image du peuple, et cette vérité : convaincu d’être peuple parce que tout en bas, détestant tout ceux qui sont plus hauts que lui, et ne disposant de la connaissance de rien ni du goût d’autre chose, Cléobule ne changera jamais rien à la pyramide des choses, pour le grand bénéfice de ceux qui ont tant de mépris pour lui.

©hervehulin2023