Dites de celui-ci qu’il montre peu de qualités, ou qu’il n’est pas estimable, ou qu’il est peu instruit, vous vous distinguerez aussitôt en mal, et on vous répondra que c’est parce que sa peau est brune ou noire que vous dites cela plutôt qu’autre chose, que c’est vous qui êtes blâmable et vous en serez sévèrement condamné; dites de celle-ci qu’elle n’est pas intelligente, ou qu’elle est surfaite, ou qu’elle a peu de conversation, on vous répondra que c’est parce que c’est une femme que vous soutenez cela, et ce n’est pas bien, vous devrez avoir honte de tels propos, qui sont d’un autre siècle ; dites enfin de cet autre qu’il manque de jugement, qu’il est vraiment borné, qu’il semble parfois fanatique dans ses affirmations ; on vous répondra que c’est parce qu’il pratique telle religion que vous ne connaissez pas, que vous n’appréciez pas et jugez en mal sans connaître, alors que c’est son choix et sa liberté, que vous n’êtes point tolérant et que ce n’est pas bien. Dites encore parmi tous ceux-là que celui-ci est limité, celui-là vulgaire, celle-là souillon ; vous serez méchant de médire parce qu’il est borgne, qu’elle est pauvre, qu’il est chauve, gras, boiteux, vieillissant, chinois, et bien d’autres faits encore.

Mais dites du mal de tous et toutes en même temps, sans limite, sans retenue, dans vos propos, sans faiblir dans la durée, sans distinction dans vos sujets, innovez dans la médisance et ses formules, sans nuance et sans distance, en soutenant le flux, ajoutez-y de l’esprit et quelques bons mots, diffusez, diffusez largement, vers les cerveaux et dans les réseaux, et vous passerez inaperçus, complètement en phase avec la foule.

 

 

©hervéhulin