Métaphraste souffre d’une maladie qui ne se soigne pas: il veut réussirRéussir dans le métier et la carrière et figurer parmi ceux qui comptent. Il veut avancer encore et encore, et chaque jour qui passe nourrit cette fièvre. Plus il fréquente, plus il rencontre autour de lui, et plus son ambition le rend souffrant. Il est en écoute à chaque minute, et en mode veille sur toute sorte de chose, des grandes et des petites, mais toujours là. Il distribue sa carte par liasses, il sillonne les réseaux de ses mots. Il se précipite vers vous, et vers d’autres, pour rendre service, et vous dire ce qu’il convient ; il fera le mystérieux, jouera l’influent, mais vous garantit qu’il accomplira ce qu’il faut à votre service. C’est lui qui fera le dîner de la promotion, et passera cent coups de fil à cet effet. Qu’une porte s’ouvre sur l’antichambre d’un préfet, une fenêtre, ou même simple lucarne, sur le cabinet d’un ministre, et le voici qui s’engouffre sans attendre qu’on l’appelle, pour s’y montrer et s’y faire reconnaître. Un colloque, apprend-t-il, s’organise pour cette semaine? Il fait des pieds pour en être, des mains pour y parler de ce qu’il connaît, s’y invite quand la réponse ne vient pas assez vite, et vous pouvez lui faire confiance : il prendra la parole, et ne lâchera pas le micro ni l’écran avant d’avoir brillé. Il rentre tard le soir, à peine pour embrasser ses enfants, et le fait savoir partout où il le faut. Mais ce n’est pas encore assez pour réduire la température et la soif qui le tenaillent.

Pour apaiser cette fièvre, ses amis et ses collègues lui disent bien qu’il fait un parcours admirable, que c’est un sans-faute, et en chaque occasion, il lui est répété qu’il ira loin. Mais si on lui dit qu’il ira loin, n’est-ce pas le signal qu’il est encore trop près et qu’il faut encore vite avancer ? Mais redoubler d’effort ne lui fait pas peur. Cette énergie d’aller plus avant et plus haut qui le brûle délicieusement lui remplit tout le corps et l’âme en même temps, alors que la distance enviée et la hauteur aperçue n’existe que dans sa tête. Métaphraste souffre d’une maladie qui ne se soigne pas; il a réussi et veut réussir encore.

 

©hervéhulin2022