Aricie est vertueuse. Elle montre de la persévérance dans les bonnes actions. Elle ne médira jamais des gens qui croisent son existence, et reste inattentive avec constance à ce qu’ils peuvent dire des défauts qu’ils se prêtent entre eux. Elle est économe de ses opinions, et en retient toujours l’expression. Le mensonge est étranger à son univers.

On apprécie de la voir agir pour des solutions positives aux aléas de la vie. A ses trois enfants, elle a toujours su transmettre le sens de la tolérance et du respect des autres, même ceux qui ont des opinions très différentes ou d’un fondement douteux. De l’argent dont elle dispose en quantité estimable, elle n’en fait qu’un moyen de pourvoir aux besoins ; et non de montrer sa réussite qui, est certaine mais sans éclat. Elle en partage les excédents avec un plaisir discret. Des talents dont elle a su faire la preuve, elle ne montre que la chance qui a animé certains instants décisifs de sa vie.

Elle est soucieuse du sort de ces démunis qui hantent nos vies urbaines, et souffre de l’indifférence qui les rend invisibles. Elle ne peut rester inactive face à cette situation, elle contribue à aider les migrants, les handicapés, les personnes d’un grand âge et au seuil de la démence ; de ces actions, elle parle peu. Elle donne aussi à bien des œuvres, et ne s’en vante pas. Elle en parle même très peu en société, car elle juge que ce n’est pas un sujet. Elle ne croit pas en Dieu, mais sait parler de la spiritualité avec une ferveur – modérée- et en partager les vibrations.Il n’y a rien à reprocher à Aricie. Tous ses proches, ses amis, ses collègues, son voisinage, et la moitié du genre humain louent la vertu d’Aricie. On se prend à dire que si un tel modèle pouvait se reproduire à seulement cent exemplaires, la destinée du monde entier en serait améliorée.

Mais voilà qu’Aricie, dans une seconde de distraction à son volant, grille un feu rouge. Un policier l’intercepte, la fait ranger, la sermonne, et verbalise. Ainsi, elle est vue, puis revue encore, et encore, face à cet agent ; on s’en étonne, s’interroge et doute. Comment notre Aricie en or a-t-elle pu commettre cette faute ? ça peut avoir l’air d’une goutte d’eau comme ça, mais c’est une grave transgression. Elle aurait pu générer un accident, tuer quelqu’un, peut-être un enfant, ou plusieurs, si ça s’était produit devant une école. On se disait bien que cet éternel étalage de qualités recouvrait bien quelque chose ; on n’a jamais douté que derrière ce cirque assommant de belles postures, il y avait bien des failles. Et c’est tant mieux : la pression que ce modèle exigeait commençait à devenir vraiment irritante. Curieuse période de la morale, lorsque sitôt qu’elle devient réelle et qu’elle vous regarde en face, la vertu est suspecte.

©hervéhulin