Chrysante est fier de sa promotion. Celle-ci, dit-il, le valorise. A ses amis, Il représente sa position comme on le fait d’un moment de théâtre. A sa famille, il parle de ses responsabilités, de son nouveau bureau, de ses notes de frais. Il déclame et s’agite, il est tourbillon et référence en même temps ; il dit comment les jeunes viennent lui solliciter conseil, les moins jeunes prennent exemple sur lui ; les seniors y voient à nouveau avec nostalgie leurs espérances de jeunesse. Il raconte souvent d’un air nonchalant ses exploits.
Ce matin encore, nous dit-il, il a sauvé le comité directeur de l’effondrement qui menaçait. Tout y était routine et plus de vingt personnes y parlaient en même temps sans jamais s’entendre. Mais notre Chrysante qui pendant deux longues heures n’avait point parlé, intervient. Voici qu’il s’élève au-dessus des rangs ; très vite, la cohérence de son discours, le resserrement de ses arguments captent l’attention de tous comme d’un seul homme. Les esprits lassés se réveillent. On se nourrit de son verbe, de sa compétence. On loue son excellence. Les décisions pertinentes seront alors prises sous cet éclairage sans appel. Il raconte tout cela d’une traite, l’air nonchalant et satisfait.
Sitôt la réunion finie, auréolée de sa gloire quotidienne, il sort, longe son couloir, jusqu’au bout. Il regagne son espace de travail à lui seul dédié, à côté du photocopieur, à la droite des lavabos. Il a trente exemplaires à produire. Personne n’approche, lui seul sait manipuler la reprographie. Chrysante rêve d’un vrai bureau pour lui seul.
Croire que c’est le travail exercé qui nous donne notre principale dignité est d’un usage répandu. Il est en quelque sorte l’étalon qui fixe le prix de votre personne. C’est un piège délicieux dont les liens sont appréciés, jusqu’à ce le tour du vent change.
©hervéhulin2022