Orante est un brillant causeur. Il n’est pas dénué de fonds dans ce qu’il dit. Il a toute sorte de matière en tête pour nourrir la conversation des amis. Dans les dîners c’est un agréable convive, il anime la société et son débit est régulier, sans jamais être incessant. Il sait s’écarter de la conversation pour quelques tâches domestique qu’un maître de maison sait doser à propos.
Le dîner n’est-il pas en train de s’emballer sur le sujet de ces malheureux migrants, qu’après avoir envoyé, suite à un relatif moment de calme dans le brouhaha, que ces gens là pouvaient tout à fait rester chez eux s’ils ne voulaient pas être rejetés à la mer, ou plus simplement, faire dans les règles des demandes d’asile ou d’aide sociale, que notre Orante se retire apprêter le plateau de fromage. Le débat s’en est bien réchauffé, certain auront même ressorti sentencieusement toute la misère du monde etc, que la tarte aux cerises à la main, il envoie à l’assistance que ce sera notre devoir, devant les générations futures, d’opposer un peu d’humanisme à la sécheresse de cœur, si accablante, de notre temps, et qu’il faut accueillir ces gens définitivement, fin de la discussion.
Car Orante est un bien brillant causeur. Il connaît le secret de l’éclat qui allumera la conversation. Il sait toujours virevolter autour de la foule qui pépie, et qui parade en raisonnement circulaire dont le ressort tourne avec quelques mots seulement, jamais plus de trois syllabes; voilà qu’il jette une poignée de semence, et c’est l’embrasement. Il n’est jamais d’accord avec personne, y compris avec lui-même. Seul compte à son esprit ce qu’il entend savoir que les autres vont penser. Orante n’est pas, lui, un bien-pensant ; il défie à tout va les points de vue majoritaires, toujours suspects selon ses vœux, et agresse sur sa lancée le sens commun ; il se méfie de tous les cercles, et s’en enorgueillit. Lui sait rester dedans et dehors d’un seul trait. On ne le voit jamais venir. Orante n’a aucune idée propre, ni la moindre ligne de conviction ; il peut dire n’importe quoi et en soutenir le contraire en moins de deux phrases ; domineront toujours en lui le sens du paraître, et l’à-pic de la formule. Il ne pense que rarement ce qu’il dit ; il ne dit que le contraire de ce qu’on pense. A vrai dire, on l’écoute très peu. C’est bien ce qui s’appelle causer et ne point penser.
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