Nycandre connaît tout sur tout, et, grâce à ce talent rare, connaît la réponse à tous vos problèmes. Il sait donner un avis éclairé sitôt qu’il devine un doute chez ses amis, ses proches, ou ses collègues. Il pourrait même dire qu’il aime ça, voire, soutient-il parfois, ne fait qu’assurer une vocation que son naturel lui a donné. Il vous dira ce qu’il faut, ce qui se doit, à la rigueur, ce qui convient. L’inconnu des situations se limite avec naturel à la portée de son horizon.
Sur toute sorte de sujets, il est celui qui sait avec pertinence et sans effort vous donner la solution, et la chose la plus simple à faire. Sa destinée l’a programmé pour aider et répondre. Rien ne lui est compliqué, il sait. Ne lui demandez pas d’où vient son universelle expertise, lui le sait et cela suffit.
Ce matin, il rencontre Acis qui, à la veille de partir en voyage sous les tropiques, se questionne sans cesse sur la meilleure façon de se vêtir dans ce climat inconnu ; il est tourmenté à la perspective de se trouver dans l’excès de chaud ou de froid de cette lointaine contrée qu’il ne connaît point. Mais Nycandre, sans le laisser finir sa plainte, a la solution car bien que n’ayant jamais fait le déplacement jusqu’à ces îles, il sait le temps qui peut se faire là-bas, il sait que les cieux y sont cléments, et sait qu’il ne faut pas hésiter à partir léger, à condition de prévoir une laine douillette pour les soirées plus fraîches. Il le dit en terme simple, mais sur un ton de commandement. Voilà, c’est ainsi qu’il faut faire, car c’est une évidence.
Puis en chemin, il rencontre Célie ; celle-ci a changé de fonctions dans le service depuis que Nycandre en est parti il y a deux ans. Elle se consacre désormais aux finances de cette nouvelle association, et doit veiller à en optimiser la trésorerie. Nycandre immédiatement est de bon conseil. La gestion d’une trésorerie n’est pas une affaire trop complexe si on sait où mettre les pieds dès le début ; il faut veiller très vite à ménager une marge sur les actifs, et provisionner en juste proportion de recettes, sans excès de prévision ; cela se dégonflera aux premières imprévisions ; et surtout, il faut absolument solder les dettes en proportion de la moitié, le plus avant la clôture. Voilà tout, c’est comme ça qu’il faut faire, c’est écrit et tracé par le bon sens, mais aussi, par les justes connaissances que notre Nycandre sait invoquer sur ce point.
Sans attendre que Célie le gratifie, il arrive à son bureau, et c’est Alcina qui vient le voir, très préoccupée. Elle doute de la compétence de la nouvelle stagiaire de l’accueil, qui, bien que jolie, vraiment, ne semble pas très clairvoyante : deux reprises furent nécessaires pour qu’elle comprenne le mode de sélection du standard, ce qui n’est pas très fameux, on en conviendra. Mais Nycandre sait que le problème ne vient pas de cette jeune recrue ; mais de l’équipement en dotation. Il s’engage de suite sur le mode opératoire de la nouvelle téléphonie, et du bon usage à en faire. Car le savons-nous assez, la technologie a récemment beaucoup évolué, mais s’il convient de programmer le maximum de fonctions possibles, il faut aussi se mettre en situation de gérer l’imprévu des appels, et pour ça, un petit carnet servira à noter à part les numéros appelant non encore identifiés, afin de les inclure dans la programmation qu’on révisera à intervalle régulier. Tout cela est à savoir, voyez-vous, et c’est ainsi qu’il faut faire pour optimiser le matériel ; quant à la stagiaire, c’est un fait qu’elle est très jolie, mais il ira lui expliquer lui-même si nécessaire. Son exposé ainsi conclu, Alcina s’en retourne, plutôt contrite, sa solution repoussée, malgré la technicité du propos. Nycandre a résolu l’affaire.
Après cette pleine journée, Nycandre rejoint ses amis au restaurant. On consulte la carte. Comme l’un d’entre eux interroge le garçon sur le pot-au-feu, notre consultant universel décline de suite toutes les meilleures conditions pour réussir ce plat plus complexe qu’il n’y paraît, du moins si on ne se garantit pas de quelque expertise nécessaire. Tout est dans le choix de la viande, et l’équilibre de sa lente cuisson. Le reste suit, il suffit de le savoir.
Il s’agit de, il convient, il faut. Ainsi, Nycandre a compris combien le monde est rond, et tourne bien si – semble-t-il- chacun fait et sait ce qui convient aux circonstances. Maîtriser l’adversité qui ronge nos jours n’est pas une difficulté pour peu qu’on dispose de la connaissance requise, et voilà tout. C’est une façon d’être en même temps moins seul et plus utile que fournir toute sorte de réponse aux questions qui n’ont pas encore été posées. Notez bien cette recommandation, écoutez bien ce dernier conseil, enregistrez ce qui vous est dit. Souvent, dans ses moments de solitude, ses nuits de questionnement, Nycandre s’étonne que la vie ne reprenne pas toujours ses conseils, et qu’il y ait encore tant de défauts sur terre. Il constate que des difficultés qu’il avait résorbées subsiste encore sur l’horizon, et cela le déçoit du genre humain, aveugle aux éclairages rendus. Il y a une chose, une seule qu’il ne comprend pas, c’est la question dont il ne possède pas la réponse. C’est cette inattention du genre humain sur ses sages recommandations.
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