I

 

Ligne des couleurs
Jour qui faiblit tenace et lent
Frisson d’écume lointaine
Le ciel comme une armée de saules
Ombrage la terre vacante
Calme soupirs Espace en prière
Odeur de la terre sur les hauteurs
Reliefs qui s’espacent où les couleurs s’argentent
Distance accoutumée

Distance exténuée des montagnes si lourdes
Instant ensommeillé des brumes si sauvages
Le ciel pâlit La terre épouse une ombre plus sourde
Voici venir du monde un plus secret visage

Au front bleu des sommets les nuages flottants
Ecoutent se noyer la rumeur des cascades
L’automne approche O Vent qui va diminuant
Quel souffle emportes-tu dans l’été qui s’attarde

Des crêtes ciselées un masque de granit
Capte les feux du soir et du vide l’appel
Dans ce reflet subtil un murmure s’invite
Un élan de regret dans un bruissement d’ailes

Sur la pente assombrie la brume se suspend
Aux murs qu’invente en vain la lisière des bois
Dans les taillis frissonne une vapeur d’argent
Ephémère douceur Songe lointain qui bat

L’ombrage en s’inclinant appose son offrande
Aux ruisseaux de bruyère qui fondent un delta
A l’endroit où se perd la couleur de la lande
Les formes choisissent l’ombre contre l’état

A droite des cimes un pic reste esseulé
Sur ses flancs d’ébène deux cascades chavirent
L’une dans la bruyère Echo plus isolé
L’autre dans l’abîme où la nuit déjà respire

A l’ouest nimbé de cuivre et de marbre ruinés
La plaine sertie de cours d’eaux
Ouvre et ferme l’espace au gré de ses bosquets
Hasard des distances Combien de ciels nouveaux

L’ombre mauve qui gagne un étang lumineux
Enchante d’un soupir un peuple de roseaux
Un mouvement discret délivre l’air anxieux
Les chênes ont lâché un envol de vanneaux

Volés par l’horizon au secret de la plaine
Les oiseaux d’eau s’en vont cavaliers des distances
Leurs arbres se figent comme une ville ancienne
Cruelles racines Si triste est l’espérance

Par-dessus la cascade un pauvre pont qui erre
Ouvre au bout de sa trace un lien vers le temple
Perché sur son rocher celui-ci se resserre
Dans la pénombre hantée par la cloche qui tremble

A l’autre bout du pont s’endort un belvédère
Accroché au basalte il s’obstine en sa veille
Une atmosphère étrange a voilé la lumière
L’orientant sur la plaine où guettent les merveilles

Comme un profil gravé dans l’éclat d’un vitrail
La carnation du sol est un fleuve qui germe
Courbe silencieuse d’un espoir qui se ferme
Le soleil las de battre a baissé son ventail

De la sorte éclairé un sentier se détache
Vers l’étang vénérable Une faible silhouette
Avance d’un pas lent dans l’herbe qui s’efface
Sans doute est-ce l’âge qui lui courbe la tête
Le bruit nu d’un sanglot a effleuré l’espace
Ivresse enfuie Source du soir Cri de la chouette

II

Je suis le voyageur apaisé par sa course
Voici quarante années que j’ai pris ce chemin
De l’horizon craintif la distance m’est douce
Mon âme de la terre imite les confins

Pas après pas j’avance et le temps avec moi
Souriant s’est changé en complice distant
Je regarde le sud je fixe le noroît
Je nomme à mon humeur les astres existants

Comme un arbre en hiver qu’argente le grésil
Je capte la lueur qu’un fleuve peut cacher
Douceur amère de l’exil
Sans l’obsession vécue de sa destination

Un rivage inventé me suffit pour marcher
Et les songes sont neige où le vent se partage
Les pas illisibles sont frêles primevères
Senteur des fleurs d’automne Essor des oies sauvages
Dans la saulaie enfuie s’enivre l’éphémère

Embarcadère si seul dans la buée du soir
Que le monde est construit de fragiles figures
Dont seul le sable fin bâtit l’ordre et l’épure
Et ma trace est tissée d’invisibles miroirs

Mes larmes au réveil changées en papillon
Du ciel j’anticipe le sillon sidéral
Du trèfle à peine né l’avenir virginal
Et des jours silencieux la tragique moisson

A la nuit je fais don de la suée de ma peau
J’entends pleurer la grive et le temps moins sévère
Sur cet accord reprend cet arpège ternaire
Comme une étincelle dont la brume est l’écho

Vous les pluies O mes sœurs aux méandres si clairs
Vos murs d’argents gorgés d’une arche de tendresse
En frayant vos escadres libèrent la promesse
D’orages bienveillants dont mon cœur est l’éclair

Je connais le silence et je connais l’espace
Je perçois les contrées qui séparent les mers
Et je comprends l’hiver comme un avenir vert
Je devine du jour le demain qui s’efface

Mon chant
Tel un feu pâle
Glisse sous la brise
Ni dehors ni dedans
J’ai traversé  des couleurs si nues
Que les prismes s’aimantaient
Je sais la démarche lente des caravanes
Je sais la foudre du léopard
Je sais de l’univers l’éternelle pavane
Je sais le nom secret du soir
Et l’immense arche-émeraude du désir unique
Ainsi tu sauras que c’est dans le soir
Que l’horizon et son peuple d’arbres
Et son train de nuages
S’éprend de toi
Plus tard à l’âge où l’écorce se tend
Tu sauras donc que les formes que tu croyais sombres
Captent bien des éclats pour semer des teintes révélées
Regarde bien sous les lignes

Et tu réveilleras des volumes brumeux
Et tu t’éveilleras tel un enfant heureux
Mais que sais-je en cela du nom des paysages
Bijoux du clair de lune Offrande d’un naufrage

Où vont ces saisons qui ne cessent jamais
Ces flots inutiles ces marées immanentes
Ces lémures lassés et ces spectres dociles
Les secrets des amants ou le nom des ancêtres
L’étreinte de soi-même et cette force d’être
Et le soir est en moi ce fœtus invisible

Mais sous ce nom secret que le soir seul prononce
Je reconnais le trait d’un archer qui me charme
Toujours la nuit imprime une lourde réponse
Je suis le voyageur et nul n’entend ma larme

III

Ame te souviens tu de ces promesses
Les lignes entaillent des rues de silices
Les rossignols sont achevés comme un parfum d’avril
Toute la nuit ensoleillée déclame
La gloire et le triomphe des étoiles assouvies
A la proue des heures factices les neiges se détendent
Sous des branches ramassées des fourmis miment les galaxies
Glisse le pas furtif du double sommeil
Se referment les yeux et apparaît la rive
Qui ouvre les paroles et le cycle des oiseaux
Se fige la rivière envolée d’un battement d’étincelle
Passent les ciels et leur blanche pudeur
S’embrassent les constellations
Et ces corolles en parures pour nous dire
Que vivre est un flocon dispersé par la brise
Les rêves font un vase orné de cicatrices
Courbées sont les lignes que nous dressons
Agées les semences de la vision
Début et fin de la lumière assise contre nous
En même temps gisante et si vivante
Si rêveuse et si aveuglante pourtant
Comme un félin secret trahi par sa tracée
Les nuages écoutent les voix que l’ozone suggère
Comme le vent de croire affolé dans la mâture
Se change en lys et puis se meurt
A présent que les fruits sont rebelles
Que vont changer les ombres de ces journées dominées
C’est un rythme bien reconnaissant que celui de ces marches
Qui tant de nuits ont dormi sous l’autel
Désormais désert où les lierres poudroient
De ces étoiles de graminées menteuses
Les bergers assoupis laissent filer la trace
De ces glaciers finis où donc a sombré le glossaire
Des ces pans léthargiques où vibrent les oryx
De ces grandes pluies Souveraines nostalgiques
La nuit fleurie fait un paradis de sa cendre
Là se dressent des caresses vieillissantes
un baiser de sommeil glisse tel un écho
dans le désert  aux épaules découvertes
c’est toujours la peau nue qui parle
et vivre est douceur impavide à ceux  qui le dénudent<
toujours le flot des moissons qui vente est
une ombre d’oiseau
multiples extases du soleil
lui-même reflet de l’eau qui dure
il fait clair sous la lune du désir
comme une sensation de soif qui passe et vous fait meilleur
Ah…printemps perdus Quand vous retournerez vous encore
Quand donc reviendront les mirabelles
Quand reviendra de l’envie cette source si belle
Ame te souviens tu de ma jeunesse
le paysage à présent se délace comme une femme
rien ne reconnaît plus sa lente éternité
dans l’ombre qui le gagne perce un sillon d’azur
et ne pouvoir le dire est une aveugle flamme
O triste flamme

IV

Mais ne sois pas triste O mon fragile écho
A l’heure où les cygnes s’effacent

Patiente et veille
Toute chose assoupie te reviendra  Merveille
Et sois toujours tendre avec la Terre

Les collines
Elles sont terre frissonnante
Elles sont vie et ligne d’un corps
Le désir en leur chevelure se perd
Elles sont l’herbe qui se retrouve
Et le vent qui s’enchante

Ainsi toujours errant loin du pays natal
J’ai si souvent prié pour que le jour ne cesse
Que le temps sur ma peau ralentit sa caresse
Comme un dernier vaisseau dont faiblit le fanal

Et l’aube en vacillant exhale un trait de miel
La clarté prend refuge où s’avance la pluie
Je m’endors sans prier sous les temples du ciel
Bientôt s’effacera cette arche inaccomplie

Comme le jour capté sous l’étain blanc des flaques
Renvoie au ciel moqueur un éclat vivifié
Mon œil garde en lui-même une espérance opaque
Que nul songe au soleil ne soit plus sacrifié

Mais le pays qui passe en moi reste gravé
Alors qu’en s’éclairant le nuage s’entrouvre
Il me fait don d’un pacte où l’espace est sacré
Ainsi toujours en moi les lointains se retrouvent

Animal je suis l’ombre au matin qui résiste
Sans élan avéré que cet effleurement
Minéral je deviens un roi en son gisant
Sans parole qu’un souffle au soir volé Si triste

La lumière offre un fruit aux lents vergers du jour
La vie laisse en partant sa plus royale esquive
Le monde est un secret du plus parfait amour
Mais rien ne chante autant que l’éclat de l’eau vive

Souvent le plus beau songe enfante un pur mensonge
Comme une ondée révèle un mystérieux versant
Quand l’herbe de la nuit sur ces pentes s’allonge
J’entends sourdre en mon âme un étrange océan
Et dans mon cœur vaincu par ce dieu qui le ronge
Ce soleil rouge et noir dont la nuit prend le sang

 

 Exercice II. Le jardin.

Lorsque la brume sera dissipée par la caresse du jour
Il faudra se porter au centre du jardin.
Puis attentivement, se garder en mémoire
De la fleur et du sable un ferment de mémoire
Pour retrouver intacts la trame et le dessein

de ce lointain paysage oublié qui vivait là dans son empire bien avant que ce monde –  ses arbres, ses eaux, ses pierres – se ploie devant la loi des hommes et leur goût de la ligne ordonnée jusqu’au coeur.

Pendant ce temps les dieux lassés voyageaient  de colline en collines  à défaut de temples préservés Ignorant des prières détournées.

Fermer les yeux pour bien s’orienter, retrouver la source enterrée
Donner un nom à chaque angle du paysage défunt  selon votre propre image Tout est ainsi à recommencer C’est bien là vertu de la brume et des sanglots de la terre.