I. Extase marine.
II. Paris, la nuit.
III. Fœtus.
IV. Joe Africanus.
V. Trêve.
VI. Prière à la Lune.
I. Extase marine
Le long sillon d’écume arasant les rochers,
Mugit et claque comme un suaire blanchâtre
Jaspé de veinules, sous un soleil saumâtre,
Et l’eau de ce marbre est celle des mausolées.
Le fracas enroué des vieux tambours marins
Domine mes thrènes. Des abysses, émerge
L’anathème, en fiels éructés d’une vierge.
Je suis anachorète immobile et serein.
Cette lévitation d’antipode m’affame.
Un silence opaque capte pourtant mon âme.
Le ressac a cessé quand m’oppresse son poids.
J’échappe aux spirales de l’exil et du temps.
De tout mon corps tremblant, un cri, un cri de foi
Exulte enfin, jaillit : « Je suis encore vivant !»
II. Paris, la nuit.
Sœurs dans nos nuits d’exil – sur nous deux l’ostracisme
D’une ville hibernant – nos âmes en mouvance
Accordaient leurs frissons, sous le feu d’archaïsmes
Du très haut temps du pleur, au fil des délivrances.
Et nos baisers, profonds comme des gargarismes,
Nous polluèrent de leurs flasques somnolences.
Nous eûmes nos regards pour subtil exorcisme,
Quand nous rêvions nos vies de parfaite romance.
J’ai cru choir en cette léthargie légendaire,
Dessous les couloirs du métro pour ciel-de-nuit.
Mais quand tu t’es trissée dans l’aurore adultère,
Te passant ton rouge, j’ai su que c’était cuit.
Sœur dans ma nuit d’exil, dans le temps qui s’effrite
Bouffé par mes baisers, ton rire reste mon rite.
III. Fœtus
Dans l’antre femelle, en basalte et velours rose,
Roc métamorphique, je me suis accroupi.
Saoulant mes cieux obscurs, me parvenait morose
Un air rare à forte teneur en élégies.
Antique anachorète, un songe amniotique
Annihila mes sens – rêver ? être rêvé ? –
M’instilla son désordre en magma chaotique.
Une voix murmurait : « Nul ne sera sauvé.»
Toujours gardons-nous de l’espoir, car à l’idem
De l’univers, nos vies doivent être un œdème
Avec la poésie pour seule cortisone.
Au mamelon femelle, en rond basalte noir,
J’ai tété un poison minéral qui chiffonne
Et broie mes sentiments ainsi qu’un assommoir.
IV. Jœ Africanus
Lorsque oscille un regard aux minarets si bleus
Sous ces cieux abyssins – cieux intérieurs – où passent
De lentes méharées sur le ressac sableux,
Quand le soir se jette du très haut des terrasses,
La nuit africaine, délavée de sangs, laisse
Un arrière-goût de cendre, un relent de limon.
Frère à la peau de lait, quand la paix te délaisse
Hèle tes amantes, étouffoir à moussons,
Princesses encasées à l’intérieur d’un rêve.
Et pille leurs sérails, ramone-les sans trêve !
Pour tout bardas, ton schlasse et deux-trois gonocoques,
Tu reviens toujours seul de pays si lointains.
Nos rêves s’enchâssent et chacun ventriloque.
Par cela, le monde démultiplié, tient.
V. Trêve
Nous userons la nuit jusqu’à la corde grise
Des matins enneigés ; nous userons l’amour
D’inassouvies suées ; nous filerons la bise
D’un long frottis-frottas, au rythme du sabûr.
J’ai flingué tous les coqs pour ajourner l’aurore.
L’hirondelle est morte qui livrait le printemps
Et là-haut montent la garde deux trois pécores.
Vite remets du bois. Puis replie doucement
Le drap sur l’hiver, la neige sur nos combats.
A pas de louve, viens te lover dans mes songes
Où la vague bleue tète le ventre incarnat
D’une anse, et l’alizé susurre ses mensonges.
Les canons se taisent, tant que dure l’hiver.
Tant que dure la nuit, que l’amour est amer !
VI. Prière à Lune
Lune hyaline, qui gouverne toute femme,
Qui coule tes vertus de diaphane embonpoint,
Qui fait leurs insomnies, leurs désirs polygames
Au long d’immanences remontant du très loin.
Satellite bifrons, qui mène les marées,
Qui jette tes flux à l’assaut des madrépores,
Qui fond l’amer instinct en un doux hyménée
Tout au fond du ventre des femmes à enclore.
Lune, qui permet que les orages s’épanchent,
Qui donne un limon aux moissons, l’eau aux moussons
Ô Princesse du Sang, si droite sur tes hanches,
Intercède en faveur de ses contrefaçons
D’amours lunatiques aux sexes indistincts :
Que soit heureuse cet androgyne arlequin !