De cet ami qui à l’instant est sorti de la pièce, n’allez pas dire du bien des figues qu’il a servies pour plaire à ses invités. De nos jours, il convient mieux en société de faire montre de méchanceté que de bonté. Là est le ton du diapason : ce qu’il faut pour être en harmonie avec autrui, c’est avant tout rabaisser, par une formule bien saillie qui fera date quelques instants, qui rameutera des rires convenus, avant d’envoyer la suivante quand sa vibration aura cessé. Dire du bien de celui qui est absent fera passer pour une personnalité insipide l’auteur de ce faux-pas, qui sera vite exposée aux traits fulgurants qu’il n’a pas voulu asséner par son précédent propos. Quel sens aurait donc de diffuser quelques flux de bienveillance sur ces réseaux qu’on appelle sociaux , alors qu’ils abîment tout ce qui fait  la vie commune – le respect de l’autre, l’amour des idées, le goût de la pensée, et aussi, simplement, la joie –? Répandre comme une nuée que lui, là-bas, est aimable, et que cet autre, est admirable ? Démultiplier que ces gens- là sont utiles, et qu’ils doivent être respectés, pour la pertinence de leurs idées, la qualité de leurs propos ? Non, la nuée qui s’envole très haut est celle des mauvais mots qui blessent ; mais les mauvais mots qu’on veut innocents comme une sorte de réflexe, deviennent si nombreux qu’ils se ramassent en essaim, et les essaims une fois lâchés se reconnaissent, puis se rejoignent ; et rejoints, ils enflent encore,  couvrent l’éclat du jour d’un ombrage secret, et grâce à l’ombre ainsi sécrétée, brûlent, dans le tourbillon de leur étrange impunité, tout le tissu d’humanité qui tremble. Alors, de toute sa puissante envergure, voici la haine, encore la haine, et son torrent noir de désastres.

 

 

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