Straton est ainsi fait qu’en toute circonstance, il préfère la contemplation de petites choses aux exercices de la conversation, de la carrière, ou même de la reconnaissance de ses pairs. Somme toute, cette cohue des gens qui l’entourent lui importe peu. Les ambitions le fatiguent, les informations le saturent. Il n’y a selon lui rien de beau ni de bien dans tout cela. On l’invite à une belle réception ; il hésite à répondre. On lui demande de terminer ce compte-rendu, il soupire, contre mauvaise fortune. Vient-il déjeuner ? pas aujourd’hui, mais peut-être demain.
Au fonds de cette réunion qui dure, il semble comme égaré, et l’ennui se dessine vite sur ses traits ; mais soudain, un rayon se dévoile par la fenêtre, et notre Straton reprend couleurs.
Ce défaut qui fait tant sourire ses collègues et ses proches vient de ce regard constant qu’il est capable de soutenir sur un détail, une apparence, un reflet qui passe. Tant de choses sans importance, dont lui seul aime à deviner et cultiver l’importance. Ce regard éclairé de ce sourire discret qu’il laisse entrevoir dans sa contemplation, c’est sa marque de fabrique. A son âge déjà mûr, il n’en changera plus.
Le voici quai d’Anjou : voyez comme il se plaît, sous la senteur d’automne, immobile, en fixant le minuscule naufrage recommencé d’une poignée de vaguelettes contre les pierres ; ailleurs, vers Bastille, c’est la tête relevée derrière le sommet de la colonne, captivé par le cirque pâli des nuages, qu’il reste sans bouger ; et puis, là encore, aux Buttes Chaumont, sous un large marronnier, c’est la figure haut-perchée d’un rouge-gorge qui l’hypnotise, comme dans un halo de bonheur visible. Il y aura de nouveau un reflet de couchant sur une lanterne, une jeune silhouette qui passe, au sillage parfumé, la couleur tranchée sur jaune d’un feuillage. Et tout cela, dans l’âme de Straton, fait de ces instants son éternité.
Ne médisez pas de Straton, il est l’ami de tout ce qui fait que le temps peut freiner sa course. Peu importe qu’il soit sorti du cercle. Il est le sens et le regard, il nous traduit sans effort la beauté du monde.
©hervehulin2021